18

Interlude en voiture

 

 

 

 

Victoria fit prévenir Madame LeClaire que la séance d’essayage était annulée. La rumeur n’allait pas tarder à se répandre que les fiançailles du marquis de Rockley avaient été rompues et, d’ici quelques jours, l’affaire ferait la une de la chronique mondaine.

Elle ne se sentait pas le courage d’en parler à sa mère. Pas encore. Dans un jour ou deux peut-être, quand la plaie se serait un peu refermée. Lady Melly était tellement contente d’avoir réussi à amener un marquis dans la famille que Victoria n’avait pas le cœur de la décevoir.

Voyant qu’elle avait pleuré, Verbena se contenta de dire :

— Ch’ui désolée, mamz’elle. Moi aussi j’ai eu l’cœur brisé quand mon Jassie y‘m’a quittée pour une aut’. Dites-vous qu’ç’aurait pu vous arriver et que ç’aurait été bien pire.

Si cette dernière remarque était censée la consoler, c’était manqué. Victoria renvoya Verbena et alla se poster devant la fenêtre où le geai bleu perché dans l’arbre criaillait à tue-tête comme un oiseau de mauvais augure.

Le soir venu, elle déclina une invitation à dîner et, dès que sa mère s’en fut allée retrouver ces dames de la bonne société pour échanger rires et ragots, Victoria se faufila par la porte de service de Grantworth House. Elle avait revêtu sa jupe fendue de chasseuse de vampires.

Cette nuit-là, elle traqua et supprima quatre morts vivants.

Le soir suivant trois autres.

Le troisième soir, elle n’en trouva qu’un seul, qu’elle transperça avec une évidente satisfaction.

Mais cela ne lui suffisait pas, et elle s’en fut traîner ses guêtres du côté de Covent Garden. Là, elle se fit accoster par de mauvais garçons qu’elle mit en déroute avec son pistolet et quelques coups de poing et de pieds bien sentis.

A l’aube, quelque peu rassérénée, elle rentra se coucher et dormit d’un sommeil agité.

Le quatrième jour, quand sa tante Eustacia lui fit parvenir une convocation, elle eut envie de l’ignorer. Dès lors qu’elle faisait consciencieusement son travail de Vénatore et qu’elle avait caché le Livre d’Antwartha dans la chapelle de St Heath’s Row avant que Rockley et elle ne rompent, que pouvait bien lui vouloir sa tante ?

Elle prit sa décision quand lady Melly passa la tête par la porte de sa chambre :

Je vais prendre le thé avec Winnie et Petronilla qui aimeraient discuter avec toi du plan de table de ton mariage. Au fait, il y a plusieurs jours que nous n’avons pas reçu la visite de Rockley. Il n’est pas malade au moins ?

Apparemment, lady Melly n’avait pas remarqué les paupières rougies ou les immenses cernes sous les yeux de sa fille.

— Pas que je sache. Mais il est très occupé. Et malheureusement, j’ai promis à tante Eustacia de passer la voir aujourd’hui. Il y a presque une semaine que je n’y suis pas allée.

Il fallait absolument qu’elle annonce sa rupture à sa mère avant qu’elle ne l’apprenne par la voie des journaux et que toutes ces dames de la bonne société ne se mettent à faire des gorges chaudes à ses dépens.

         — Maman, il faut que je vous dise... Rockley et moi nous sommes disputés. Nous...

Sa voix s’éteignit quand elle vit la consternation se peindre sur le visage de lady Melly.

— Mais enfin, Victoria, il y a sûrement un moyen de vous raccommoder ! Tu ne peux gâcher ton avenir pour une simple querelle ?

Une simple querelle.

— Je voulais vous le dire avant que la rumeur ne commence à se répandre, ajouta-t-elle d’une petite voix contrite.

Bon sang. Elle était capable d’occire trois vampires à la suite, mais pas de dire la vérité à sa mère ?

— Bon, j’espère que tu iras lui parler la semaine prochaine, au bal des Mullington, et te réconcilier avec lui. Et pas d’excuse, Victoria. Le duc fête son cinquantième anniversaire et tout le monde y sera.

Victoria hocha la tête. Elle n’avait pas le choix, et de toute façon il y avait toutes les chances pour que Phillip n’y soit pas. Il avait horreur de ce genre de grands-messes. Sans compter que si la plus petite rumeur se mettait à circuler comme quoi il était à nouveau célibataire... il ne pourrait pas ne serait-ce que mettre un pied dans la salle de bal sans être assailli de toutes parts.

— Bien, nous nous verrons ce soir. Nous partons à sept heures tapantes. Je compte sur toi. Et arrange-toi pour cacher ces vilains cernes sous tes yeux. Ma parole, Victoria, tu as l’air d’un spectre.

Pour finir, Victoria renonça à aller chez tante Eustacia. Dès que sa mère fut partie, elle lui fit parvenir un message comme quoi elle allait devoir passer la journée à faire des visites et passa le reste de l’après-midi dans sa chambre.

Le soir venu, elle n’eut d’autre choix que d’accompagner lady Melly au concert. Sa seule consolation était que ce genre de soirées s’achevait de bonne heure et qu’elle allait pouvoir ensuite sortir en catimini de la maison pour faire la chasse aux vampires.

Le concert lui sembla encore plus ennuyeux que celui des sœurs Straithwaite, sans doute parce que Rockley ne fit pas d’apparition.

Ni aucun vampire d’ailleurs.

 

 

 

Il était minuit passé quand Victoria se faufila par la porte de service après s’être assurée que tout Grantworth House dormait à poings fermés.

Barth, son fidèle cocher, l’attendait au coin de la rue. Selon le code qu’ils s’étaient fixé, il opina discrètement du chef pour lui indiquer qu’elle pouvait monter dans la voiture. Il avait pour mission de la conduire dans les coins le plus mal famés de la ville. Chaque soir, il l’emmenait dans un quartier différent, et Victoria s’en remettait entièrement à lui, sachant qu’il connaissait les bas-fonds de Londres comme sa poche.

Une légère averse d’été avait lustré les pavés qui brillaient doucement au clair de lune. Victoria descendit du coche et ordonna à Barth de revenir la chercher dans deux heures.

Tandis que la voiture s’éloignait en brinquebalant, elle alla se poster au milieu de la chaussée et promena un regard circulaire sur la rue déserte, défiant quiconque d’oser l’accoster.

Tout était gris, noir et silencieux dans ce quartier dont elle ignorait le nom.

Faute de gaz, probablement, les réverbères n’avaient pas été allumés. Un terrain de chasse idéal pour les vampires... ou les malfrats. Elle n’était pas regardante, les uns et les autres méritant une bonne leçon.

Victoria avait définitivement adopté sa jupe fendue pour ses expéditions nocturnes, car habillée en femme elle attirait plus facilement l’attention des lâches qui s’en prenaient aux êtres faibles.

 

 

 

Mais ce soir, les rues semblaient particulièrement calmes et sans danger.

Elle marchait au milieu de la chaussée d’un pas rapide et décidé, à l’affût du moindre mouvement, de la moindre sensation de froid dans sa nuque.

Rien.

Rien, jusqu’à ce qu’ayant dépassé le troisième pâté de maisons, elle perçut un mouvement dans une ruelle adjacente. Sa nuque se glaça d’un seul coup.

Un sourire vengeur aux lèvres, Victoria s’avança dans la venelle, son pieu de frêne dans sa main enfouie dans les plis de sa cape, en adoptant une allure nonchalante. L’image même de l’innocence et de la tentation.

Elle s’attendait à ce qu’il ou elle donne la charge, mais rien ne se passa. Si bien qu’au bout d’un moment elle s’arrêta et se retourna. Personne. La sensation de froid dans sa nuque avait disparu.

Lorsqu’elle ressortit de la venelle, un attelage élégant et bien suspendu déboucha au coin de la rue. Les voitures fringantes comme celle-ci étaient rares dans cette partie de la ville.

La berline ralentit et s’arrêta à sa hauteur. Ses deux chevaux noirs roulaient des yeux en frappant des sabots. Le cocher, immobile, ne regarda pas Victoria.

— Victoria.

La portière s’ouvrit et une main gantée lui fit signe d’approcher. Sébastien. Elle avait reconnu sa voix et sa façon de prononcer son nom.

Elle s’approcha de la portière et il lui tendit la main pour l’inviter à monter.

— Venez, vous ne trouverez pas un seul vampire ici ce soir, ma ravissante Vénatore.

— Et pourquoi cela ? dit-elle en se campant devant la portière, les mains sur les hanches, brusquement furieuse.

— Allons, venez faire un tour. Nous allons profiter du clair de lune et je vous dirai pourquoi.

— Sauf s’il y a un vampire caché dans votre voiture et prêt à mourir, je préfère marcher. Merci.

Elle tourna les talons et commença à s’éloigner.

Il fut si rapide qu’elle n’eut pas le temps de réagir. Bondissant hors de la voiture, il lui passa un bras autour de la taille et la fit pivoter sur elle-même, le tout en un clin d’œil. Elle trébucha sur la borne qui délimitait la chaussée et eut juste le temps de plaquer ses deux mains sur la voiture pour ne pas s’étaler dans la gadoue.

Ainsi donc vous êtes d’humeur belliqueuse ? murmura Sébastien en plaquant ses deux mains de part et d’autre des siennes. C’est la nouvelle qui circule en ville. On ne parle que de ça au Calice.

Elle écarta brusquement les bras pour l’obliger à reculer, puis se retourna. Ils étaient face à face, si près l’un de l’autre qu’elle aurait pu compter ses cils. Son haleine sentait le clou de girofle.

— Vous n’êtes pas de taille à m’affronter, siffla-t-elle entre ses dents.

— Vous pariez ?

Elle fit un geste, mais il fut le plus rapide. La saisissant par les poignets, il ramena ses bras le long de son corps. Victoria tenta de se débattre, mais avant qu’elle ait pu s’arracher à son étreinte, il plaça un pied à côté des siens, la fit basculer et la poussa à l’intérieur de la voiture.

Sans lui laisser le temps de se remettre, Sébastien monta à son tour et referma la portière. Saisissant sa longue canne à pommeau, il frappa un coup sur le toit pour donner le signal du départ au cocher.

— Asseyez-vous donc, très chère.

Elle se tenait debout au milieu de l’habitacle, le dominant de toute sa hauteur.

— Si vous voulez de la bagarre, je suis votre homme. Vous semblez avoir besoin de... vous défouler. Sinon... vous pouvez vous asseoir.

Victoria s’assit. Elle était essoufflée et passablement troublée par la facilité avec laquelle il avait réussi à la dominer, ou plus exactement à la prendre par surprise. Car elle n’avait pas encore dit son dernier mot.

— Que voulez-vous ?

— Que voilà une question risquée. Etes-vous certaine de vouloir entendre la réponse ?

Ses yeux brillaient d’une lueur étrange tandis qu’un demi-sourire retroussait ses lèvres. Elle décida qu’elle n’était pas prête à entendre sa réponse. Si bien qu’elle posa une autre question :

— Que voulez-vous dire par « vous ne trouverez pas de vampires dans les rues ce soir » ?

— Je veux dire que les vampires ont adopté un profil bas après le carnage auquel vous vous êtes livrée ces nuits dernières. Ils attendent bien sagement au Calice, et remplissent mes tiroirs-caisses, dit-il, avant d’ajouter avec un grand sourire : c’est pourquoi j’ai préféré vous avertir, pour ne pas que vous perdiez votre temps.

— Un carnage ? Les Vénatores chassent et tuent les vampires, c’est leur mission. Et Max le fait depuis des années.

— Maximilian est connu pour agir de sang-froid et par la ruse, mais votre technique à vous semble avoir quelque peu semé la panique parmi les morts vivants. Le fait que le Livre d’Antwartha soit en votre possession et que vous ayez pris une longueur d’avance sur Lilith ne doit pas les rassurer. Toujours est-il que les vampires ont consommé davantage de sang en barrique qu’à l’ordinaire ces derniers temps.

— Et vous êtes venu me chercher pour que j’aille chasser au Calice ?

Une expression horrifiée passa sur ses traits.

— Certainement pas !

Puis il vit qu’elle souriait à demi et éclata de rire.

— Touché, ma chère.

— Pourquoi tenez-vous tant à protéger les vampires ? demanda Victoria qui commençait un peu à se détendre.

— Je ne les protège pas.

— Vous leur offrez un refuge où ils peuvent se réunir, non ?

— Le fait de leur offrir un espace où leurs langues peuvent se délier et où l’information peut circuler librement, n’est peut-être pas une mauvaise chose pour moi, ou pour d’autres. Sans compter que c’est un bon moyen de gagner des sous -ceux des vampires et ceux des clients qui cherchent à les approcher.

Elle haussa un sourcil intrigué.

— Il y a des gens qui prennent du plaisir à se faire sucer le sang par des vampires.

— Du plaisir ?

— Victoria, vous avez vous-même été mordue par un vampire. Vous savez ce que l’on ressent juste avant que le mort vivant ne plante ses crocs dans votre gorge. Et ensuite, quand on ne songe qu’à s’abandonner à sa morsure.

Il la regardait d’une façon qui lui coupa le souffle. Mais elle parvint à répondre.

— Comment savez-vous que j’ai été mordue par un vampire ?

Soudain, la canne de Sébastien tomba sur le plancher. Il venait de s’asseoir sur la banquette à côté d’elle. Elle sentit sa jambe se plaquer contre sa cuisse tandis qu’il se penchait vers elle. Ôtant son gant, il saisit le col de sa cape et le tira. Un courant d’air froid glissa sur sa peau.

— Parce que je l’ai vu la première fois que nous nous sommes rencontrés.

Il laissa courir son doigt du haut en bas de son cou jusqu’à la petite dépression entre les clavicules. Son pouce se logea dans le petit creux tandis que sa main s’enroulait autour de sa gorge.

Elle était incapable de bouger. C’est à peine si elle arrivait à respirer. Elle sentait sa paume se resserrer sur son cou puis se relâcher en rythme avec les battements de son cœur.

— Vous vous souvenez de ceci ? dit-il en lui inclinant la tête de côté pour mettre à nu la morsure.

Elle ferma les yeux, puis sentit ses lèvres, sa langue, ses dents, mordillant, léchant, raclant doucement la chair sensible. Au lieu de se débattre, elle soupira comme pour l’inviter à continuer.

Sa cape se défit et tomba, dénudant entièrement ses épaules et sa gorge. Il se pressait tout contre elle à présent, faisant aller et venir ses mains  – l’une gantée l’autre pas -sur ses épaules. Son gant de cuir ripait sur sa peau, ses coutures épaisses et ses boutons meurtrissant doucement sa chair. Victoria laissa échapper un long soupir, murmurant même peut-être son nom.

La saisissant par les poignets, il remonta ses bras au-dessus de sa tête, l’obligeant à se coucher à demi. Son visage était si près du sien qu’elle sentait son haleine chaude sur son menton. Ses doigts jouaient dans ses boucles.

Victoria ferma les yeux. Elle aurait pu se démener, briser son étreinte, se relever d’un bond et le repousser... mais elle n’en avait pas envie. Ses caresses étaient trop délicieuses, trop audacieuses, trop parfaites.

Phillip  – cher Phillip  – l’avait fait fondre sous ses caresses et ses baisers... mais il n’était plus là, et la bouche de Sébastien sur son cou appelait une autre sorte de réponse... plus aiguë... plus profonde... plus osée.

— Si facile, murmura-t-il dans son oreille. Vous êtes affamée de passion, Victoria. Votre marquis serait-il un glaçon ?

Trop engourdie pour réagir à son sarcasme, Victoria répondit d’une voix qui n’était pas la sienne :

— Mon marquis n’est plus mon marquis.

— Vraiment ?

Sébastien se recula si brusquement qu’elle rouvrit les paupières.

— Ma foi, si c’est le cas, je ne serai pas rongé par les remords après cela.

— Je doute que les remords aient jamais assailli votre conscience, quelles que soient les circonstances, dit Victoria.

Il rit, déposa un rapide baiser sur ses lèvres.

— Bah, il faut faire un petit effort de temps en temps, dit-il avant de presser à nouveau ses lèvres sur les siennes avec force cette fois.

Comme si un verrou venait subitement de sauter, Victoria lui rendit son baiser avec fougue.

Quelque part au fond de son esprit, elle songea à Phillip et éprouva un pincement. Car leur passion était sincère, et non pas brutale comme celle que Sébastien et elle partageaient.

Lorsqu’il bougea, relâchant ses poignets pour qu’elle puisse plonger ses mains dans ses cheveux bouclés, elle souleva ses hanches pour ne pas glisser de la banquette. Son pied heurta la canne qui gisait sur le plancher. Sébastien s’allongea sur elle, amenant son bassin contre le sien comme s’il avait voulu la clouer à la banquette.

Un chaud picotement s’insinua entre ses jambes. Surprise, elle fit basculer son pubis pour le plaquer contre le sien.

Sébastien bougea à nouveau. Tout à coup Victoria sentit un courant d’air frais se répandre sur ses seins. Elle réprima un soupir.

Sa première réaction fut de se débattre. Mais lorsqu’il rit et prit un de ses mamelons entre ses lèvres, elle se laissa retomber sur la banquette.

Dieux du ciel... c’était si bon !

Il mordillait et suçotait la chair. Elle l’attira plus près et quand ses mains relevèrent les deux pans de sa jupe jusqu’au-dessus de ses hanches, elle le laissa faire. Elle savait qu’elle pouvait le repousser à tout moment.

Mais pour l’heure, elle allait le laisser lui donner du plaisir. Elle en avait besoin.

Sébastien l’avait compris.

Ses mains se posèrent sur ses cuisses. Elle tenta de les refermer, mais en fut empêchée par la jambe de Sébastien. Sa bouche enfouie sous son sein laissa échapper un rire. Il darda sur elle une prunelle dorée, à demi cachée par l’arcade de son sourcil et une mèche de cheveux qui tressautait en rythme avec la voiture.

— Êtes-vous encore innocente, ma chère ?

— D’une certaine façon, oui, répondit-elle avec plus de franchise qu’elle n’aurait dû en un moment comme celui-là.

Otant ses mains de dessous sa jupe, il les posa sur sa taille et tira sur sa ceinture, exposant son ventre à la lumière intermittente des réverbères. Un soupir léger franchit ses lèvres. Il avait trouvé ce qu’il cherchait.

Ses mains palpèrent son ventre, jusqu’à ce que ses doigts touchent sa vis bulla.

— Ahh, fit-il d’une voix brûlante.

Puis il baisa l’anneau d’argent.

Le contact de sa bouche sur sa peau donna à Victoria envie de se débattre et de le repousser  – puis de s’offrir avidement à ses lèvres.

Mais soudain sa nuque se glaça, rappelant Victoria à la réalité comme une douche d’eau froide. Elle se figea, tendit l’oreille. Oui, pas d’erreur.

Sébastien s’arrêta, comme si lui aussi avait perçu un changement d’atmosphère. Au même instant la voiture s’immobilisa dans un sursaut.

— Des vampires, dit Victoria en le repoussant et en rabattant les pans de sa jupe.

Tandis qu’elle couvrait sa poitrine, elle sentit comme une pointe de glace sur sa nuque. S’assurant que ses pieux de frêne n’avaient pas été délogés par ses ébats avec Sébastien, elle se leva et lissa sa jupe, puis saisit la poignée de la portière.

Un silence malsain emplissait la nuit.

Juste au moment où elle allait tourner la poignée, la main de Sébastien la retint.

— Soyez prudente, Victoria.

— Je suis une Vénatore, dit-elle, puis elle ouvrit la porte.

Dans la rue grise, elle vit un Impérial et trois Gardiens déployés en demi-cercle à côté de la voiture. Elle comprit. Leur présence ici n’était pas due à une simple coïncidence. C’était un traquenard.

Une pensée désagréable, quoique prévisible, lui traversa l’esprit. Elle se tourna vers Sébastien.

— Est-ce vous qui les avez fait venir ?

L’expression de son visage était indéchiffrable.

— Pourquoi vous aurais-je sauvé la vie lorsque vous avez pris le Livre d’Antwartha pour ensuite vous livrer aux vampires ?

Un grand coup ébranla la portière. La voiture vacilla de côté puis se remit d’aplomb. Victoria s’empara de la canne qui avait roulé sur le plancher et en brisa l’extrémité d’un coup de pied. A présent, une éclisse mortellement aiguisée qui pouvait servir à la fois de pieu et d’épée remplaçait le bout ferré.

Elle avait les mains moites et son cœur battait à tout rompre. Jamais elle n’avait combattu un Impérial. Ni même affronté seule trois Gardiens.

— Vénatore, montre-toi !

Elle avait beau ne pas être une poule mouillée, elle voyait bien que ses chances de gagner étaient ténues.

L’une des vitres explosa. Une pluie de verre s’abattit sur la banquette, là où Sébastien avait déployé son élégant manteau de laine noir.

Furieux, il le ramassa et le secoua au-dessus du plancher.

Un sourire grimaçant s’encadra dans la fenêtre cassée, tandis qu’un vampire Gardien passait une main à l’intérieur pour saisir la poignée. Victoria frappa un grand coup et, par miracle, l’atteignit en pleine poitrine. Poufl Et d’un.

Mais elle ne pouvait pas rester éternellement bloquée ici. D’autant que Sébastien ne semblait guère disposé à intervenir.

Victoria pencha la tête par l’ouverture :

— Qui a appelé « Vénatore » ?

— C’est moi, répondit un vampire Impérial en s’approchant du coche.

C’était une femme aux cheveux graisseux et aux prunelles rouges violacées comme tous ceux de son rang. Elle portait une longue épée et un pantalon qui épousait étroitement ses jambes et lui offrait une plus grande liberté de mouvement que les pantalons larges de Victoria.

— Que voulez-vous ?

— J’ai ordre de vous conduire jusqu’à ma maîtresse. Elle veut rencontrer la toute dernière Vénatore.

Victoria se recula d’un geste rapide, juste au moment où un Gardien se jetait sur la voiture, dans l’intention évidente de l’attraper pour la forcer à sortir.

— Vous m’excuserez auprès de Lilith, mais je ne reçois que le mardi et le vendredi après-midi, entre deux et trois heures, et je ne sers pas le genre de boisson qu’elle affectionne.

Passant un bras à l’extérieur, elle agrippa la veste du vampire qui avait tenté sans succès de l’attraper et tira de toutes ses forces pour essayer de le hisser à l’intérieur. Si seulement elle pouvait... les éliminer... un... par... un.

Il se faufila comme une anguille entre ses doigts et s’effondra à terre. Soudain, la situation s’inversa, tandis que les trois vampires restant s’élançaient de toutes leurs forces contre la voiture.

L’attelage s’arracha de terre, resta un instant comme suspendu dans les airs, puis retomba comme une masse sur le flanc.

Victoria et Sébastien furent projetés violemment au fond de l’habitacle. Un bras maigre et livide passa à travers ce qui restait de la fenêtre, cherchant à tâtons la poignée.

Victoria se remit sur ses pieds et se hissa sur la banquette à présent à la verticale. Ignorant la douleur lancinante dans sa tête, elle enjamba Sébastien qui reposait comme un paquet inerte sur le plancher.

La porte s’ouvrit avant que Victoria ait pu l’atteindre. Mais elle était prête. Brandissant son pieu vers la poitrine qui obstruait la fenêtre, elle l’enfonça de toutes ses forces avec un grognement triomphal.

Puis elle vit le sang jaillir et comprit. Les vampires s’étaient servis du cocher de Sébastien comme d’un bouclier humain.

Mais ce fut là sa dernière pensée, car soudain tout devint noir et confiné. Quelqu’un avait jeté une couverture par-dessus sa tête. Victoria essaya de se débattre, mais des bras de fer l’enserraient comme un étau.

Elle n’arrivait plus à respirer, et chaque fois qu’elle essayait, l’air qu’elle avalait était saturé de poussière ou de pluches... Elle lutta de plus belle, tentant désespérément de reprendre son souffle... puis sombra complètement dans le noir.

Chasseurs de vampires
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